Maharashtra-Québec

Maharashtra-Québec

jeudi 4 septembre 2014

Comme si de rien n'était



Mardi, 4 février 2014

Des passants de Pune
 
En partant de Vanasthali jusqu'à l'université, il y a environ 20 minutes de marche à faire. Comme on peut s’y attendre, en Inde, même au cours d’une promenade aussi brève, tous nos sens sont immanquablement assaillis par des stimuli contradictoires : beautés et laideurs, parfums exquis et putréfaction, abondance et misère. Notre conscience et nos valeurs sont bousculées par les inégalités sociales tellement criantes et désespérantes. En même temps qu’il y a le désir de traverser ce torrent sensoriel, de le vivre entièrement, de ne pas uniquement se laisser porter par l’eau trouble, mais aussi de s’en imprégner, il y a cette volonté (éthique ?) de ne pas s’en faire une gloire, de ne pas immortaliser le spectacle ou de ramener un trophée de chasse. Je pense à ce chien galeux que j’ai croisé sur ma route aujourd’hui, un bâtard lépreux, une loque à quatre pattes qui traînait sur lui plus de vers et de pucerons que la carcasse d’un chevreuil mort sur le bord d’une route du Québec en plein été… Il marchait comme si de rien n'était. Tous les Indiens, d'ailleurs, marchent comme si de rien n'était. Toutes ces misères me troublent évidemment, mais j'essaie de m'adapter, de faire comme les Indiens. Comme si de rien n'était.

Il est assez facile de se sentir à l’abri de « tout ça » sur le campus de l’université. Le département des langues étrangères est une petite bulle hors du monde. Les professeurs qui enseignent ici (mais les étudiants aussi) appartiennent à des milieux privilégiés. J’ai la chance incroyable de parler ma langue maternelle dans une classe à l’autre bout du monde et le luxe de m’y entretenir d’art et de culture.
En classe (photographie de Valentin Moisan)

Aujourd'hui, j'ai présenté Ce qu'il faut pour vivre (2008) de Benoît Pilon. J’ai intitulé ce premier volet de présentation autour du thème du rapport à l’autre, « l’étranger venu d’ici ». Je souhaitais engager une discussion autour de la représentation des peuples autochtones et de la représentation du territoire. J’ai été intéressé d’apprendre qu’il existait plusieurs communautés tribales vivant sur le territoire du Maharashtra, des communautés qui sont également sous-représentées et qui vivent d’une certaine façon en marge du monde. Pour contextualiser la réalité des communautés inuites, je me suis un peu amusé avec les données démographiques en leur présentant successivement la densité démographique de nos villes d’appartenance respectives, Sherbrooke (422 hab./km2) et Pune (11 238 hab./km2), avant de leur dire que le Nunavut, la région d’origine du personnage de Tivii, dans le film de Pilon, a une densité de population de 0,02 hab./km2. Les étudiantes ont été évidemment été très impressionnées par l’immensité du territoire et les conditions d’isolement dans lesquels vivent ces habitants. J’ai par la suite contextualisé le Québec des années 50, la réalité des bateaux-cliniques et des visites médicales dans le Grand Nord, l’évolution des rapports entre les hommes blancs et les autochtones, etc.  Puis, au cours du visionnement, je leur ai demandé d’être attentives à tous les chocs culturels que vivaient Tivii lors de sa convalescence dans un sanatorium de Québec.

Les étudiantes ont été très attentives au film, qu’elles ont semblé apprécier. J'ai même surpris une étudiante à verser une larme lorsque le personnage de Kaki, le petit garçon métis qui s’est lié d’amitié avec Tivii, meurt vers la fin du film.



Mercredi, 5 février 2014

Aujourd’hui, nous terminons la discussion amorcée hier après le visionnement du film de Benoît Pilon et j’enchaîne avec la mise en contexte du Québec des années 60 et 70. Le prochain film à présenter, demain, sera C.R.A.Z.Y. (2005) de Jean-Marc Vallée.

J’enchaîne avec des éléments de réflexion liés à la thématique. Mon exposé s’intitule : « Différent, comme tout le monde ». Je m’intéresse notamment à l’adolescence, cet âge où le rapport à l’autre prend une dimension identitaire extrêmement importante, où il devient si important, tout comme le personnage de Zach, de se savoir appartenir un clan (ici, la famille), mais aussi de s’en distinguer. Nous abordons cette période de contradiction telle qu’elle est vécue en Inde. Aux dires de mes étudiantes, il en ressort qu’ici aussi, il existe à cet âge ce tiraillement entre marginalité et conformisme, entre traditions et modernité… Puis, inévitablement, nous en venons à la question de l’homosexualité, centrale dans le parcours identitaire du protagoniste. J’appréhendais un peu les résistances ou malaises liées à ce sujet qui est encore un grand tabou en Inde, mais je sens une grande ouverture de la part des étudiantes. Les discussions sont animées et je les sens de plus en plus à l’aise avec moi. Avant la projection, j’avais quand même demandé l’avis de Valentin (qui donne également un cours de cinéma) quant au traitement de ce sujet. Il m'a rassuré en me parlant d'autres films qu'il avait lui-même présenté dans le cadre de son cours et il m'a aussi fait savoir que le film La vie d'Adèle (2013), d’Abdellatif Kechiche, avait passé dans un cinéma de Pune récemment. On avouera qu'en comparaison avec La vie d'Adèle, C.R.A.Z.Y., c'est les Calinours...

Après mon cours, je prends un thé avec Manjiri à la cantine du département.

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